mercredi 26 janvier 2022

Strange, la légende

 

Pour le lectorat de comics en France d'un certain âge, il y a certaines choses qui touchent au sacré, mais Strange est sûrement le summum.

Strange est le magazine qui a pérennisé les comics Marvel dans l'hexagone, après les tentatives étouffées par la censure qu'étaient Fantask (là aussi, un titre qui touche au sacré) et Marvel. C'était en janvier 1970. Au sommaire, on y trouvait les X-Men, Iron Man, Daredevil et Silver Surfer. Bien évidemment, ça a évolué par la suite, notamment quand Spider-Man (l'Homme Araignée, ou l'Araignée jusqu'en 1998) s'est installé définitivement à bord à partir du numéro 18, devenant la star du journal. 

Cette formule aurait pu durer au-delà de sa vingt-sixième année et de son 324e numéro, si Semic avait encore eu les droits Marvel. Coup dur révélé en décembre 1996 dans toutes les revues de l'éditeur : "Marvel, c'est fini". En réalité, l'éditeur américain était de retour dès février 1997 sous la houlette de Panini, ce que peu de gens savaient car, à l'époque, Internet était fort peu répandu. Semic, privé de sa locomotive, a donc dû acheter de nouvelles licences.


La surprise était totale quand, en mai 1997, apparut dans
les kiosques le numéro 325 de Strange, avec Batman, JLA, Wonder Woman et Flash ! Du matériel entièrement DC Comics ! Sacrilège ! Cette formule n'a pas dû prendre, puisque dès le numéro 332, Flash et Wonder Woman, en pleine saga, ont été remplacés par Sovereign Seven (à l'épisode 15) et Impulse. Mais le mal était fait, et Strange repartit dans les limbes au numéro 335, en mars 1998. 

Et pourtant, le célèbre magazine finit par revenir là où on ne l'attendait : chez Organic Comix. Le fondateur, Reed Man, a contacté les héritiers de Jack Kirby, ainsi que Tom Scioli, et c'est donc à un magazine sous le signe du King auquel nous avons eu droit jusqu'en 2012, puisqu'outre Reed Man et Tom Scioli se réclamant de l'influence Kirby, ils ont été rejoints par Jean-Marie Arnon, au style pas si éloigné. Outre des inédits de Kirby et des BD dans le style du maître, on a eu droit à Chris Malgrain, Jim Arden, Chott, Jean-Yves Mitton... Un vrai festival !

Mais malgré cette orientation, le Strange version Organic Comix est toujours vu par une frange du lectorat comme un sacrilège, un truc qui ne vaut rien ou qui n'existe pas, un "Strange de kékés" (lu sur les réseaux sociaux, où je me suis fait même insulter à l'époque pour avoir défendu ce Strange - heureusement que je n'ai pas précisé que j'étais abonné et dans la street team)... Donc, pour ces gens-là, il faut un Strange comme à leur époque, avec les personnages Marvel, pas sur papier glacé, et pas les épisodes modernes qui sont nuls. J'ai fait la synthèse des critiques. Je pourrais y répondre par un "OK boomer" tout à fait approprié. Je passerai sous silence le Strange Collector repris par Semic, un fascicule d'accompagnement pour vendre des plaques en métal de héros Marvel. Je ne sais pas si les vieux râleurs mentionnés plus haut sont montés au créneau pour dénoncer le foutage de gueule. Concernant le fait que la marque soit désormais entre les mains de Xavier Fournier (journaliste, conférencier, historien des comics), les râleurs attendent (sauf un), mais un plaisantin s'est déjà amusé à raconter qu'il était impliqué dans cette relance de Strange et dans celle de Spécial Strange (un projet différent, une collaboration entre Organic Comix et Original Watts)... autant dire qu'il s'est vite fait recadrer !

Etant tombé dans les comics à l'âge de 11 ans en août 1996, je n'ai donc pas appris à lire dans Strange, et je n'en ai pas acheté cette année-là. Cependant, j'avais un copain qui avait le numéro 308 que je lui ai souvent emprunté avant qu'il ne finisse par me le donner. Dedans, il y avait Deadpool, Spider-Man, Iron Man et Avengers (à l'époque, on disait "des espèces de X-Men", car c'était la référence en matière d'équipes de super-héros, étant donné que c'était la seule qu'on voyait à la télé). Ce n'était plus l'âge d'or qui, si j'en crois certaines personnes, s'était de toute façon terminé en 1983... J'essaie de comprendre. 

J'ai vécu en direct le lancement du Strange DC avec surprise, mais ce jour-là, j'ai préféré me faire acheter un album relié de trois numéros de Nova. Mon premier Strange, j'ai attendu août 1997 pour l'acheter, et c'était le 185. Pourquoi ? Parce qu'à l'époque, dans mon Shopi, il y avait à la caisse un étalage de pochettes promotionnelles de revues invendues un peu anciennes. C'est comme ça que j'ai bâti ma collection, ainsi qu'avec les albums reliés qui regroupaient les numéros invendus par deux ou trois, pour un prix réduit. C'est ainsi que j'ai récupéré pas mal de revues Semic/Marvel, car cet éditeur pratiquait la mise en vente d'albums reliés environ un an après la première parution. Ils ont cessé de le faire en 1998. Le concurrent Panini, qui a les droits Marvel depuis 1997, n'a en revanche jamais fait ça. A la place, ils ont sorti des coffrets de l'intégralité des revues Avengers et Silver Surfer de 1997-1998. Un gros investissement pour un lecteur jeune, qui a donc dû s'en passer (je crois n'avoir complété la collection d'Avengers qu'en 2008 ; quant à Silver Surfer, je n'ai que le numéro 13 et et je n'en ai jamais vu d'autres depuis). A partir de 1998, je n'ai vu qu'occasionnellement des pochettes promos. 

Ah, et puis Strange 308 est lié à de mauvais souvenirs, aussi. Sachez qu'en 1997, il était très mal vu de lire (bon, déjà, rien que le fait de lire, c'était pas top) Strange ou toute autre revue de comics au collège. Les super-héros étaient encore très très loin d'avoir acquis leurs lettres de noblesse au cinéma et étaient don cantonnés à des dessins animés, et que les dessins animés, c'est pour les enfants. On ne parlait pas de culture geek, à l'époque, on avait juste des secrets honteux à cacher au monde. Le collège, c'est vraiment un monde de merde.

Pour conclure, je suis impatient de découvrir les nouvelles versions de Strange et Spécial Strange. Je me demande comment les vieux râleurs vont réagir quand on en saura plus. Moi, je suis confiant dans les porteurs des projets.

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