jeudi 12 août 2010

Strangers et le Semicverse : histoire d'une entreprise ambitieuse

La recette était simple mais elle n'a pas collé. Prendre tous ces personnages que l'éditeur Lug a demandé à son équipe de créer afin de remplir la pagination des pockets, en complément des gros morceaux qu'étaient Tex Willer, Zembla (le sous-Tarzan plus sympa que son collègue Akim chez Mon Journal) ou encore l'ignoble Miki le Ranger (capitaine de cavalerie dans l'armée à 12 ans... heureusement que ses amis alcooliques rendaient ses aventures un poil moins chiantes). Ainsi furent créés des personnages comme Phénix, Motoman, Doug Quanter, Dick Demon ou Kit Kappa, parfois réduits à une unique aventure... Bon, au niveau de l'originalité, on pouvait faire mieux : tarzanides, aventuriers, super-héros rétro, extraterrestres exilés sur Terre, etc.
 
Mais en une quarantaine d'années, ça donnait tout de même un nombre plutôt impressionnant. Aussi, après une dizaine d'années de non-création et un changement de nom (Lug étant devenu Semic au début des années 90), la nouvelle équipe en place, amoureuse de toute cette création, n'avait que l'embarras du choix pour faire du neuf ! Et c'est le scénariste Jean-Marc Lofficier qui s'est chargé de prendre en main le Semicverse, en reprenant tous ces personnages et en les insérant dans une continuité inspirée des univers Marvel et DC : ainsi, Zembla et Ozark s'étaient déjà rencontrés, Kabur (personnage venu d'Hyperborée) et Wampus (alien polymorphe tueur) s'affrontaient en des temps reculés... Même les différents futurs étaient pris en compte ! Paradoxalement, tout ce petit monde gagnait en originalité en se rapprochant des concepts comics, même s'ils gardaient toujours un côté un peu rétro.
 
Mais voilà, l'entreprise tourna court au bout de 3 ans... Pourquoi ? Parce que les pockets, jadis espaces de créations, avaient été de plus en plus délaissés par les lecteurs (normal, après 10 ans de rééditions). Ne restaient donc que les amateurs purs et durs, qui voulaient du neuf, mais qui demeuraient irrémédiablement attachés aux lectures de leur enfance. Autrement dit, de l'évolution sans évolution. Du neuf, mais pas du moderne. Les nouvelles aventures de Zembla et Kabur ? Le lancement de Fantask avec de nouvelles versions d'Homicron, de Phénix et plein de nouveaux trucs super-cools ? Ils ont dit non. Le marché pocket était encore victime de sa ringardise (la mention "bimestriel pour la jeunesse" est un bel exemple... La jeunesse de 1960, pour sûr). Fantask se ramassa, et ses séries furent éparpillées dans les pockets restants (à noter qu'Ozark et Wampus sont très bien tombés dans Mustang, car ils accompagnaient ainsi l'excellente série italienne Martin Mystère... on va passer l'ignoble Zagor sous silence...), au grand dam des vieux lecteurs (moyenne d'âge : entre 40 et 50 ans) qui râlent de la modernité de ces nouvelles séries. Bah, il leur restait les rééditions. Puis vint le lancement de Strangers, au format comics... Inconnus du lectorat comics, méprisés par le lectorat pocket, les Strangers survivent 4 numéros bimestriels avant de s'installer dans le nouveau magazine Image Comics (avec des séries de l'éditeur américain Image, qui publie également Strangers aux USA), qui ne durera que 3 numéros. Heureusement, la saga en cours fut terminée dans le 2, aussi eut-on droit aux origines de Futura dans le numéro 3 (et à une scène de cul) avant que les ultimes épisodes de la série ne soient publiés dans le pocket Yuma (un pocket bâti sur les cendres de Fantask, et sans ligne thématique précise, publiant la 60è réédition de Miki le Ranger en même temps que la super-héroïne Phénix). 
 
 
 
Puis fin 2003 arriva l'impensable pour les fans de pockets : l'éditeur Bonelli (qui fournissait à Semic bon nombre de ses séries fétiches) ne renouvelle pas le contrat avec Semic. Toute la gamme pocket est arrêtée, et la création nouvelle chez Semic tombe à l'eau. Tout au plus aura-t-on finalement droit à un crossover Phénix/Witchblade, mais l'aventure Semicverse allait clairement vers sa fin : en 2004, les créateurs reprirent leurs droits sur les personnages, rendant leur exploitation plus problématique. 
 
Aujourd'hui, le Semicverse n'est plus qu'un souvenir loin d'être désagréable, du moins en France : aux USA, Jean-Marc Lofficier a fondé Hexagon Comics, où sont publiés désormais des albums de rééditions (Zembla, Clash, Wampus... ainsi que Phénix et ses épisodes inédits)... en anglais. Finalement, après des années où rien n'a bougé, voilà qu'arrivent enfin les albums des héros du Semicverse en langue française. Avec des tirages plutôt limités et des prix assez salés, on est loin de l'idée d'un univers BD populaire, mais il faut ce qu'il faut. Peut-être que cela débouchera, à terme, sur de nouvelles aventures de nos héros. On ne peut qu'espérer.

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