jeudi 31 octobre 2019

Dark Fates : 31 octobre (nouvelle)

Bonjour à toutes et à tous, 

Je n'ai pas écrit de nouvelle pour Halloween cette année, du coup je vous partage celle que j'ai écrite l'an dernier pour le blog d'Arcadia Graphic Studio.

Il s'agit d'une version alternative de Dark Fates, où les personnages ont évolué d'une autre façon. Les illustrations sont issues de la session Inktober 2018, à l'exception de la dernière qui a été réalisée spécialement.

Bonne lecture !


31 octobre





31 octobre. Les citrouilles, fantômes et sorcières avaient commencé à envahir timidement les rues de Kaltsee, principalement à l’initiative des commerçants qui avaient vu en cette fête étrangère un moyen de s’assurer une petite manne financière, entre la rentrée des classes et avant la fête de Noël. Mais cette tradition commerciale était marquée, cette année, par l’irruption de véritables visions de cauchemar, quelques mois plus tôt. Pendant la nuit de Walpurgis, les morts s’étaient en effet relevés de leurs tombes, laissant dans leur sillage plusieurs victimes avant de disparaître d’un coup. Les cœurs étaient donc moins à la fête pour se costumer en revenants. Seuls, les plus téméraires auront choisi de vaincre leurs peurs pour s’amuser en incarnant des créatures rejetées par l’enfer, mais la plupart auront préféré opter pour des déguisements plus neutres ou plus drôles.

Cependant, Claire Djarvick goûtait peu cette tradition nouvelle. À vrai dire, elle se tenait à l’écart des rassemblements depuis plusieurs mois, depuis la mort de Xavier Enrikchen, son petit ami, et tout ce que Halloween lui rappelait, c’était le dernier jour d’octobre, la veille de la Toussaint, le jour où l’on fleurit les tombes des êtres chers. Elle se préparait psychologiquement à aller au cimetière, pour se recueillir pour la première fois face à la stèle de son amour disparu, accepter l’inacceptable. En cette fin de journée, elle n’était donc pas d’humeur à aller faire la fête, alors elle avait décidé d’évacuer ses noires pensées à la salle de sport.

Dans le vestiaire bien moins peuplé qu’à l’accoutumée, Claire se rappela les événements des mois passés : comment Joe Gillian était venu chez elle annoncer la nouvelle funeste, comment elle l’avait accueillie, et comment sa vie aurait pu devenir un enfer. Fort heureusement, ses parents l’avaient soutenue du mieux qu’ils le pouvaient, l’aidant à se débarrasser de sa mauvaise hygiène de vie et à pratiquer une activité qui lui faisait du bien. Claire avait donc choisi de s’inscrire à la salle de sport, remplaçant les cigarettes et l’alcool par l’effort soutenu d’une activité sportive. En enfilant sa brassière et son short, elle se disait qu’elle était une toute autre personne, du moins tant que l’effort physique continuait ; c’est pourquoi elle tenait à rester le plus longtemps possible à profiter des installations à sa disposition, afin d’éloigner le moment où elle devrait ressortir et affronter son mal-être.



En sortant du vestiaire, Claire se remémora le chemin qu’elle avait parcouru jusqu’à la salle, et son intrigante rencontre avec Ewen Merrick quelques minutes plus tôt. Elle n’avait pas vu le jeune sorcier depuis des mois, et leur dernière rencontre avait été mouvementée. Claire l’observa de loin : il paraissait confus et désespéré. Quand il fut enfin à sa hauteur, il l’interpella maladroitement. « Zira n’est pas rentrée depuis deux jours », lâcha-t-il au bout de quelques secondes. Le nom de Zira Ondalli faisait ressurgir des souvenirs dans la tête de Claire, des souvenirs peu flatteurs. Elle se souvenait d’une jeune femme agressive envers Xavier, et à la personnalité moins positive que ce qu’elle laissait entendre d’elle à la radio. Elles ne s’étaient d’ailleurs plus parlé depuis la mort de Xavier, Claire ayant décidé de couper les ponts délibérément, et Zira n’ayant pas essayé de renouer le contact de son côté. Pourtant, à voir Ewen aussi désemparé, elle eut de la peine pour lui, et commença à s’inquiéter pour Zira.

Dans la salle, l’affluence était maigre. Peut-être que les habitués avaient décidé de célébrer Halloween en famille plutôt que de s’entraîner ?

Deux heures passèrent. Dehors, la nuit était tombée, et plusieurs personnes avaient déjà quitté la salle. Claire fit une pause pour boire un peu d’eau. À ce moment, elle s’aperçut qu’un homme complètement hagard était entré. Il se tenait sur le pas de la porte quand un des entraîneurs finit par s’approcher de lui, lui demandant ce qu’il voulait. Il y eut une seconde pendant laquelle l’homme hagard se figea complètement, puis sauta à la gorge de l’entraîneur. Deux autres hommes entrèrent pendant que le premier buvait goulûment le sang de sa victime, mais eux avaient l’air plus alertes et avaient leurs yeux injectés de sang dirigés vers les quelques personnes qui s’entraînaient dans la salle, et ils commençaient à se précipiter vers leurs proies.

Nul ne semblait en croire ses yeux, mais le mot fut lâché : vampire. Il était impossible qu’il s’agît d’une mise en scène d’Halloween, et si la nuit de Walpurgis avait bien démontré une chose, c’était que l’incroyable et l’impossible faisaient désormais partie du quotidien. Quand une femme – un vampire - entra à son tour dans la salle de sport, la panique gagna tout le monde. Claire, elle, était miraculeusement hors du champ de vision des vampires, et en profita pour gagner la sortie de secours. À peine à l’air libre, elle se mit à courir droit devant elle, remarquant à peine les corps sans vie qui gisaient le long de la rue.

Filant aussi vite qu’elle le pouvait, elle se rendit compte qu’elle passait dans une rue qui lui était familière, au bout de laquelle se trouvait le magasin « El Marino », tenu par Juan Cazaro, qui avait hébergé Xavier pendant des mois. La pensée de revoir l’antipathique vendeur rassura pourtant Claire, qui se précipita dans la boutique. Les lumières étaient éteintes, et une odeur pestilentielle flottait. Dans l’obscurité, Claire devina deux corps étendus sur le sol, qu’elle enjamba pour accéder aux interrupteurs derrière le comptoir. Le magasin fut éclairé en quelques secondes. Les corps sur le sol étaient ceux de deux femmes. Claire observa autour d’elle afin de voir si Juan était encore dans les parages, mais elle comprit vite que la masse sombre qu’elle avait vue dans le noir n’était autre que le corps exsangue de l’Espagnol, qui s’était battu jusqu’à la fin. Claire porta la main à son cœur, une façon de rendre un dernier hommage à cet homme qu’elle n’avait jamais aimé, et réciproquement, avant de fouiller derrière le comptoir à la recherche de tout ce qui pourrait lui être utile. Elle s’empara d’un sac et y glissa le long couteau de Juan, ainsi que des fusées éclairantes et un pieu qu’elle eut du mal à extirper du cœur d’un des cadavres de vampires.

Claire pensa alors à ses parents, et se dit qu’elle devrait essayer de les rejoindre. Mais la maison était trop loin, et elle avait une dernière halte à faire qui pouvait remettre les choses dans l’ordre. L’appartement que partageaient Zira Ondalli et Ewen Merrick n’était pas si loin, et c’était peut-être la seule chance pour la ville de Kaltsee de ne pas céder à l’emprise des vampires.





À nouveau une course rapide, et Claire fut devant la porte. Elle prit quelques secondes pour reprendre son souffle, puis entra sans sonner. Seule, une petite lampe éclairait la pièce de vie… et la silhouette d’une femme.

« Claire ? C’est toi ? » demanda-t-elle.

Cette voix ne lui était pas inconnue ; au contraire, elle était reconnue de toute la ville pour son émission qui apportait des conseils et un peu de baume au cœur de nombreux jeunes et moins jeunes. Claire se risqua donc à répondre :

« Oui. Zira, c’est toi ? Ewen m’a dit que tu avais disparu.

La silhouette se déplaça dans la lumière, et Claire comprit immédiatement pourquoi elle ne l’avait pas reconnue : Zira portait un corset et une longue jupe dévoilant sa jambe gauche gainée d’un bas en résille. Sa coiffure elle-même était différente, plus sophistiquée. Claire avait toujours considéré l’habillement de Zira sans aucun goût, aussi la voir ainsi parée la rendait méconnaissable à ses yeux.


- C’est moi, lui dit-elle sobrement. Je suis revenue.

- Quelle incroyable transformation, souffla Claire.

- N’est-ce pas ? (Zira fit une pause) Oh, tu parles de mes habits ? J’en ai toujours rêvé. »

Elle fit un tour sur elle-même, faisant virevolter sa jupe.

«  Une deuxième vie, ça change tout », reprit-elle.

À ce moment, Claire contempla ses yeux : ils étaient injectés de sang. Comme si Zira avait anticipé la question, elle répondit :

«  Oui, j’en suis une. Tu ne te doutes pas à quel point c’est libérateur. »

Claire plongea la main dans le sac pour s’emparer du pieu, tandis que Zira continuait :

« Je me suis déjà nourrie ce soir. Je suis repue. Tu peux donc partir tranquille… ou nous rejoindre ! »

À ces mots, Zira fondit sur Claire, qui sortit hâtivement le pieu du sac et frappa la vampire à la tempe. Profitant du fait que son adversaire devenait chancelante, Claire prit la fuite, oubliant le sac dans sa hâte. Elle se mit à courir vers les bois sans regarder en arrière. Elle était désorientée, et plus rien ne comptait à présent qu’échapper à la créature qu’était devenue Zira Ondalli. Hors d’haleine, elle finit par s’effondrer derrière un arbre. Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre son souffle et ses esprits. Qu’est-ce qui avait fait de Zira un vampire ? Avait-elle tué Ewen Merrick ? Et si… ? L’espace d’un instant, elle eut une révélation : et si Xavier était aussi devenu un vampire ? Il serait sans doute venu chercher Claire, ou…

À mesure que ses tympans ne faisaient plus résonner son pouls, elle commençait à mieux appréhender son environnement : à une dizaine de mètres devant elle, elle pouvait entendre le léger bruissement de l’eau de la rivière, rivière qu’elle voyait de manière assez distincte. Les bois, étrangement, étaient silencieux, comme avant une tempête. Pendant quelques secondes, Claire retrouva son calme, comme si son coup de frayeur n’avait pas eu de cause sérieuse ; mais ce calme fut vite rompu par des pas dans les feuilles desséchées, à quelques mètres derrière elle. 



« Inutile de te cacher », retentit la voix de Zira. « Je sens parfaitement ton odeur. »

Claire sentit son pouls s’accélérer. Serrant le pieu dans son poing, elle se redressa contre l’arbre. Elle prit une longue inspiration, puis sortit de sa cachette.

Zira semblait encore toute fraîche, comme si elle n’avait fait aucun effort pour rejoindre sa victime. Sa poitrine, mise en valeur par son corset, ne se soulevait absolument pas. Claire, elle, luttait pour tenir debout malgré ses jambes flageolantes. Finalement, elle brandit son pieu en avant, résignée, en lâchant « Je te préférais quand tu étais dans la radio, Zira ! » pour se donner du courage.

Le combat qui s’ensuivit était déloyal. Claire, transie de peur, devait se battre contre une Zira en parfaite possession de ses moyens, et dont la nouvelle nature vampirique l’avait dotée de nouvelles capacités qui l’élevaient au-dessus de la condition humaine. Pendant plusieurs minutes, Claire reçut plusieurs coups assénés avec le plus grand des calmes, mais elle trouva toutefois la force de se relever à chaque fois. Elle réussit à porter elle-même plusieurs coups de pieu à son adversaire, mais jamais au bon endroit ni avec assez de force. Mais au bout de trop nombreux coups portés à sa tête, Claire finit par ne plus être capable de se relever.

Zira se pencha sur sa proie, la bouche grande ouverte sur des crocs qui n’attendaient que de plonger dans une jugulaire. Cette fois, aucun discours ne venait se poser en prélude, il ne restait que l’envie primaire de tuer. Claire sentit sa tête tourner alors que les dents acérées commençaient à toucher sa chair. Elle était perdue, elle se sentait déjà partir quand elle entendit une voix criant des mots qu’elle ne reconnaissait pas, mais qui étaient en réalité issus d’une langue très ancienne. Un bruit sourd accompagna une explosion liquide et visqueuse qui lui macula le visage et la poitrine.

Les crocs n’avaient pas pénétré sa chair, et Claire, abasourdie, vit s’effondrer le corps désormais sans tête et sanguinolent de Zira. Elle remarqua aussi une silhouette s’avancer vers elle et lui tendre la main. Le sceptre qui était dans l’autre eut un effet rassurant sur Claire.

« Ewen ! »

Celui-ci, dos au clair de lune, mit quelques secondes avant de répondre :

« Oui, c’est bien moi. C’est terminé pour elle, à présent. »

Claire prit la main de son sauveur et se redressa, les fluides de Zira coulant de sa brassière jusqu’à son nombril. Elle s’essuya tant bien que mal, mais elle savait qu’elle avait devoir prendre de longs bains pour se débarrasser du sang et de la sensation désagréable de la cervelle sur sa peau.

Ensemble, ils marchèrent main dans la main jusqu’à rejoindre la route. La lune éblouissait Claire, qui se tourna alors vers Ewen. Levant la tête, elle le trouva étrangement calme. Voyant qu’elle s’arrêtait, Ewen regarda Claire dont le visage passa alors au blanc.

« Ewen ! Tes yeux ! »

En guise de réponse, il resserra sa poigne et se pencha vers elle.

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